Les jeunes de l'expédition

Niaqornat, 3 avril 2002
La tête profondément enfoncée dans ma capuche à la fourrure gelée, je cherchais vainement l'horizon. Devant moi, le blanc légèrement gris bleu de la banquise se confondait avec le brouillard, rendant impossible toute distinction entre ciel et sol. Nous avancions contre le vent depuis près d'une heure, après le coucher du soleil et sous une lune presque pleine mais brouillée par le brouillard. Les lumières d'Uummannaq venaient juste de disparaître et le traîneau de devant, que nos chiens suivaient, n'était plus visible. Dans cet univers tout blanc, les traces des traîneaux précédents sur la neige fraîche devenait alors notre seul repère pour nous diriger. Quand ces traces disparurent - les chiens s'en étant malencontreusement écartés -, il ne nous restait plus que notre sens de l'orientation ou plus exactement notre intuition pour trouver la bonne direction…
Assis à l'arrière du traîneau tandis qu'Ole Jørgen allongé à l'avant surveillait le trot des chiens, je n'étais pas vraiment inquiet. J'attendais que les lumières du petit village de Qaarsut apparaissent enfin à travers le brouillard et nous guident vers notre destination de la nuit. Quelques heures plus tard, nous fûmes presque confortablement allongés dans nos sacs de couchage dans une des classes de l'école du village qui hébergeait l'expédition.
Le lendemain, nous partîmes tous ensemble de Qaarsut sous un beau soleil. La longue caravane - 15 traîneaux ! - s'étira à nouveau sur la grand désert de glace. Il nous fallut traverser les nombreux hummocks - champs de blocs de glace disloquée - qui se trouvaient sur notre passage. Nous fûmes beaucoup secoués et les traîneaux parfois bloqués par de gros blocs gelés. Il arrivait souvent que les traîneaux s'élèvent sur les tremplins de glace pour retomber violemment. Comme une planche de surf au sommet de la vague… En fin de soirée, nous avions atteint Niaqornat où nous comptions installer notre "campement" à l'école du village. Niaqornat, le village des chasseurs d'ours, accueillait le deuxième camp de base de l'expédition.

La grande caravane de traîneaux à chiens
Adieu à Kiinappak
Alors qu'Oumiak s'était bien intégré avec sa mère Mannik au sein de la meute, j'avais remarqué que le troisième de mes chiens, Kiinappak ("masque"), trottait avec difficulté au milieu de ses collèges d'attelage. Au tout début d'un de nos voyages (après une longue pause de deux jours), il ne pouvait même plus tenir le rythme. Ole Jørgen décida de le mettre sur le traîneau pour le soulager. Allongé à l'arrière, il ne trouva plus que la force de gémir et de saliver en permanence. Au bout d'une heure, il était évident qu'il allait mourir. Il semble que ses poumons se soient épuisés, comme il arrive souvent avec les vieux chiens. Nous avions encore six longues heures de route devant nous. L'agonie sur le traîneau devenant insupportable pour lui comme pour nous, nous décidâmes de l'abandonner sur la banquise. Même si je savais que c'était la fin courante de beaucoup de vieux chiens incapables de tirer davantage un traîneau, j'eus un serrement au cœur en voyant le nôtre s'éloigner…
Voici maintenant des nouvelles des principaux jeunes membres de l'expédition et de quelques autres.
Nukaaraq, 15 ans, et Frederikke, 17 ans : elles participent pour la dernière fois à l'expédition car leurs résultats scolaires sont plutôt bons. Ne pas s'absenter trop longtemps de l'école est le bon choix pour elles, même si elles préfèreraient bien sûr être sur les traîneaux…

Maassa, 14 ans : il vivait dans sa famille à Ukkusissat (petit village) avant de rejoindre le foyer pour participer à l'expédition. Toujours aussi prêt à faire le fou, il conduit son propre traîneau et tire parfois sa longue ligne de pêche, sans toutefois être sérieux jusqu'au bout.

Boye, 15 ans : il est le meilleur conducteur de traîneau parmi les jeunes du foyer. Avec d'autres (enfants, chasseurs et éducateurs), il est resté au camp d'Uummannatsiaq et s'apprête à participer au grand voyage vers le nord du Groenland.


Dina et Mikael partent de Qaarsut vers Niaqornat

Mikael, 16 ans : originaire de Nuuk la capitale moderne au sud du pays, il a rejoint le foyer il y a un peu plus d'un an. Auparavant, il ne connaissait pas la vie traditionnelle, les traîneaux, les icebergs, la banquise. Pourtant, il a décidé d'apprendre à diriger son propre traîneau et - condition indispensable - il s'est occupé avec sérieux de ses chiens avant le début de la saison. Depuis un mois qu'il conduit tout seul, il a fait beaucoup de progrès...

Najaaraq, 16 ans : originaire d'un petit village (Ikerasak), elle est habituée à la vie traditionnelle et est toujours partante pour une longue glisse sur la banquise ou pour manger de la viande de phoque crue.

Makku, 16 ans : lui aussi est originaire d'un petit village de la baie d'Uummannaq (Saattut) et aime la vie traditionnelle. Il est resté au camp d'Uummannatsiaq où il participe aux pêches quotidiennes aux flétans.

Dina, 17 ans : pas très motivée par l'expédition, elle préfère l'école et surtout les copains de la ville. C'est pourquoi elle ne participe qu'à de petits voyages.

Kristine, 18 ans : elle ne participe pas à l'expédition cette année car elle poursuit ses études au Danemark.

Ludvig, 15 ans : fils d'Ole Jørgen et de Ann (la directrice du foyer), il s'est joint à nous avec beaucoup de réticences. S'il fut l'un des meilleurs conducteurs de traîneau avec Boye et aussi un très bon chasseur (phoques, renards, lapins, perdrix, guillemots, et presque une petite baleine…), il n'est plus très motivé par la conduite d'attelage. Il préfèrerait sans doute jouer de sa guitare électrique ou voir sa copine restée à Uummannaq. Mais il est en ce moment avec Maassa et Juulut, l'un des chasseurs de notre expédition, à la recherche de l'ours dont les traces dans la neige ont été aperçues. Ce qui est quand même une aventure excitante à vivre à 15 ans…

Alf, 23 ans : Alf est handicapé mental et il communique très difficilement (il ne parle presque pas). Pour la première fois, il s'est joint à nous pour un petit voyage de quelques jours en traîneaux vers un petit village. Comme il nécessite une attention de presque tous les instants, il ne peut bien sûr pas participer réellement à l'expédition. Mais nous avons essayé de lui faire vivre une nouvelle expérience et il a beaucoup aimé.




Alf
La semaine prochaine…
Pour l'instant, je ne reçois pas beaucoup de messages de France. Que fait le Club Groenland du collège de Moÿ-de-l'Aisne et le lycée Santos Dumont de Saint-Cloud ? Nous espérons que vous allez tous bien dans la chaleur infernale du printemps en France. Merci à "Jeune TV" (classe de 6ème audiovisuelle) pour leurs messages.
Maintenant, les jeunes de l'expédition sont partagés en deux camps, distants l'un de l'autre d'environ 100 km : l'un toujours à Uummannatsiaq et l'autre à Niaqornat. Trois jeunes du foyer, Svend, Gustav et Magdalene, sont restés à Uummannaq car ils devaient faire leur "confirmation" (communion des ados de 14 ans dans la religion protestante luthérienne qui est celle des Groenlandais). Comme pour tous les grands événements, il y a eu une fête toute la journée et le soir en leur honneur.
A Niaqornat, les chasseurs d'ours m'ont raconté leurs aventures. Et hier soir, un villageois est rentré avec une petite baleine… sur son traîneau ! C'est ce que je vous raconterai la semaine prochaine…

Nukaaraq et Frederikke

Communiants devant l'église, Gustav, Magdalene, inconnue et Svend portant le costume traditionnel