Amer Arctique

Qeqertalik, 4 mai 2002
Nos voyages en traîneaux ne sont pas toujours des voyages de rêve.
L'Arctique, région de l'hémisphère nord au-delà du Cercle Polaire, sait aussi se montrer cruel. Cette fois, c'est la tempête qui a forcé nos chiens à un jeûne de trois jours, c'est l'accident d'Ole Jørgen qui a remis en cause notre camp dans la nature, et c'est une terrible nouvelle qui nous a attristés au retour : la mort d'un ouvrier sur la banquise.



Maassa et Mikael partent à la chasse dans le mauvais temps
Maassa and Mikael are going hunting in spite of bad weather
Un camp dans la tempête…

Dans la tempête de neige - In the snow storm
Après deux jours de route, Maassa, Mikael, Frederikke, deux chasseurs, Ole Jørgen et moi avions atteint "Qeqertalik", un refuge isolé sur une grande île au nord-ouest de la baie, à près de 100 km d'Uummannaq. C'est un endroit désert connu des chasseurs comme étant très favorable à la chasse : présence possible d'ours blancs et de narvals car la fin de la banquise n'est pas loin ; présence de nombreux phoques sur la glace car il n'y a aucune présence humaine pour les déranger, etc. Avec la douce "chaleur" du printemps, les phoques en profitent pour monter sur la banquise et prendre des bains de soleil à côté de leur trou de respiration. C'est le moment où il est possible de les chasser au fusil.
Au camp de Qeqertalik, nous comptions sur la chasse pour nourrir les chiens de viande fraîche (nous n'avions emporté que de la nourriture surgelée pour notre propre consommation). Mais une tempête de neige nous bloqua au camp pendant plus d'un jour. Il nous était donc très difficile de sortir en traîneaux pour chasser. Malgré les rafales de vent et les bourrasques de neige, Maassa, Mikael et Ole Jørgen partirent alors à pied dans la montagne à la recherche de lièvres polaires et de perdrix des neiges (aussi appelées lagopèdes). Ils revinrent malheureusement bredouille.
Un traîneau-ambulance

Ole Jørgen, lui, revint en tenant son bras gauche. En dérapant sur une plaque de neige gelée, il venait de chuter quelques mètres plus bas. Un os saillant déformait son épaule et s'était peut-être cassé. Après une nuit de douleurs, il décida de rentrer à Uummannaq pour consulter un médecin. Cette décision allait remettre en cause notre camp dans la nature.
Comme il ne pouvait pas diriger lui-même son traîneau, c'est moi qui dus le conduire. Jens, l'un des chasseurs de notre groupe, fut chargé d'ouvrir la piste à travers la banquise accidentée. Les jeunes, Mikael, Maassa et Frederikke, resteraient seuls au camp de Qeqertalik avec Simmi, l'autre chasseur, au moins un jour de plus pour chasser si le temps s'améliorait ou ils rejoindraient l'un des villages pour nourrir leurs chiens affamés.
Pendant huit heures, je conduisis sur la banquise une ambulance… ou plutôt un traîneau-ambulance ! J'étais à l'avant, le fouet à la main, surveillant le trot des chiens. Allongé à l'arrière, Ole Jørgen prenait son mal en patience, malgré les chocs répétés contre les ornières de glace qui secouaient régulièrement le traîneau. Parfois, dans les hummocks, quand la banquise était trop déchiquetée, il descendait du traîneau pour marcher, en me laissant seul manœuvrer le traîneau et les chiens à travers le dédale des blocs de glace disloquée. Je m'en sortis plutôt bien. Le voyage, lui, fut long, très long. Arrivé au petit village de Qaarsut, je laissai enfin Ole Jørgen monter dans le véhicule de l'hôpital dont le chauffeur était venu le chercher. Une demi-heure de conduite sur la banquise plus tard, à l'hôpital d'Uummannaq, les rayons x devaient montrer que l'os n'était pas cassé mais seulement déboîté. Rien de bien grave. Quant à moi, je décidai de faire halte pour la nuit à Qaarsut (car les chiens n'avaient pas mangé depuis trois jours) et de rentrer à Uummannaq le lendemain matin. Avant de me coucher, je dus absolument ressortir dehors pour nourrir nos chiens affamés. Ils dévorèrent très rapidement les têtes de flétans qu'ils obtinrent à volonté...


Quelques fleurs sur le trou dans la banquise où l'ouvrier et sa pelleteuse ont coulé
Some flowers on the hole in ice where a worker and his mechanical shovel sank
Mort d'un ouvrier sur la banquise
En arrivant à Uummannaq, je pris la piste habituelle qui longe la côte. Je vis soudain que cette piste était barrée par un ruban tendu sur une centaine de mètres et attaché à des piquets. Ce ruban délimitait en fait un périmètre. Au dernier moment, je réussis à éviter de passer au travers en faisant tourner les chiens vers la droite. Le lendemain, j'appris que l'endroit avait été bouclé par la police à la suite d'un horrible accident.
Un ouvrier danois de 48 ans, père de 3 enfants, y avait trouvé la mort en traversant la glace. Il conduisait une pelleteuse de 6,8 tonnes sur la banquise et devait se rendre à Qaarsut, le village le plus proche, pour y travailler. A 200 mètres d'Uummannaq, les roues arrières du véhicule se retrouvèrent coincées dans une ornière entre deux plaques de glace. Il tenta alors de sortir son véhicule de l'ornière en utilisant le bras de la pelleteuse pour le tirer en avant. La banquise céda sous le poids ou à cause des chocs répétés et l'homme, à l'intérieur, fut incapable de s' extraire de la cabine. Le pelleteuse et son conducteur coulèrent à pic.
C'est la première fois qu'un tel accident arrive. La banquise supporte très bien le poids des voitures (et même celui d'engins plus lourds) et le service technique de la municipalité contrôle en permanence son épaisseur avant d'autoriser toute circulation motorisée. Quelle est alors la cause de l'accident ? Maladresse du conducteur ou piste choisie pas suffisamment solide ? Il est certain que la société de construction, en envoyant un ouvrier danois inexpérimenté conduire un si lourd véhicule sur la banquise, porte une lourde responsabilité dans l'accident. Des fleurs furent déposées sur le trou, gelé sur quelques millimètres, à l'endroit où l'ouvrier avait coulé avec sa pelleteuse.


Maassa tente de pêcher avec une ficelle, un clou et un morceau de plastique comme appat
Maassa tries to go fishing with a rope, a nail and a plastic piece as bait
L'expédition touche à sa fin…
Le groupe 1, parti en direction du nord du Groenland, atteignit le petit village de Kangersuatsiaq dans le district d'Upernavik après 300 km de route sur la banquise et à travers les montagnes. Il ne put aller plus loin car la mer était dégelée dans cette région. Les courants marins fragilisaient la banquise et il est courant au printemps que le vent emmène les plaques de glace au large. Un mois plus tôt, il aurait pu passer. Tous les membres de ce groupe sont sur le chemin du retour vers la baie d'Uummannaq.
Le groupe 2, dont je fais partie, est reparti vers Niaqornat, le village des chasseurs d'ours que nous aimons tant, avec tous les jeunes (les ados, les enfants et les pensionnaires handicapés du foyer). L'équipe de tournage allemande, qui avait filmé quelques moments de notre expédition au mois de mars, est revenue pour terminer son film. Ce tournage fut très éprouvant pour eux. Quant à nous, nous avons pêché des requins de manière très spectaculaire. Surtout deux très gros ! Les images et le récit de cette nouvelle aventure seront en ligne en début de semaine prochaine…



Les chiens dorment dehors quelle que soit la météo - Dogs sleep outdoors in any weather