Jeunes pêcheurs de requins

Paris, 19 mai 2002
De retour en France depuis peu, j'ai écrit ce texte qui raconte le dernier voyage de notre expédition. La semaine prochaine, vous pourrez lire le bilan de cette expédition 2002.
Notre dernier voyage en traîneaux de l'année a encore eu pour destination le petit village de Niaqornat et pour but cette fois la pêche aux requins. Avec à nouveau une équipe de tournage pour la télévision…
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Mikael hisse le deuxième requin hors du trou - Mikael is pulling the second shark out of the hole
Tournage éprouvant pour l'équipe de la TV allemande…

Inuunguaq tient un bébé-phoque qui avait été avalé par le requin - Inuunguaq is holding a baby seal who was swallowed by the shark
En raison de l'intérêt que notre expédition commence à susciter auprès des programmateurs de télévision (diffusion déjà programmée en Allemagne et diffusion probable aussi en France), l'équipe de tournage allemande, qui nous avait filmé au mois de mars, est revenue à Uummannaq pour terminer son travail. Nous étions à nouveau acteurs, jouant notre propre rôle devant la caméra…
Le tournage, sans préparation, fut très éprouvant pour Ilka, Jan et Joachim, les membres très sympas de l'équipe allemande : les problèmes de communication, le grand froid toujours glaçant, la fatigue du travail à l'extérieur, le stress d'un environnement "hostile" (ils sont plusieurs fois tombés de leur traîneau tracté par un motoneige). Pressés par le temps court (9 jours seulement), ils voulaient adapter notre expédition à leurs idées ou objectifs de tournage. Pour nous, il fut difficile de tout concilier : organisation du voyage (environ quinze traîneaux) et du séjour (pour plus de trente personnes), encadrement et motivation des jeunes (une quinzaine de 8 à 17 ans), consignes pour les chasseurs, déplacement de l'équipe en fonction de leurs objectifs et de nos besoins, etc. Bien souvent et malgré la bonne volonté de tous au départ, rien ne se passait comme prévu.
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Seuls sur la banquise, sans moyen de se déplacer

Une fois, tandis que le caméraman était parti filmer la course en traîneaux de Maassa et Mikael, la réalisatrice, le preneur de son et moi, nous étions restés loin du village sur la banquise à les attendre. Dans le brouillard et derrière un traîneau pour se protéger du vent qui soufflait fort, nous étions seuls au milieu de nulle part, sans chiens et sans arme, à la merci d'un ours de passage… Heureusement pour nous, la probabilité d'une rencontre était très faible. Mais la réalisatrice n'était pas rassurée. Quant à moi qui leur servais d'interprète, de guide et parfois de personnage, j'étais presque mort de froid dans mon petit anorak de toile sans la fourrure.
Malgré tous ces problèmes, ils réussirent à surmonter les conditions difficiles de tournage en filmant de nombreuses interviews et de belles séquences. Comme la pêche aux requins qui fut très spectaculaire.


Nukaaraq, Ole Jorgen, Frederikke, Mikael et les enfants regardent Maassa découper le requin - Nukaaraq, Ole Jorgen, Frederikke, Mikael and the kids are watching Maassa cutting the shark
Des requins de 3 à 5 mètres pêchés par des jeunes de 15 ans…
A 8-10 heures de traîneau d'Uummannaq, le petit village de Niaqornat est l'un des sites de la baie les plus favorables à la chasse, et notamment à la pêche aux requins. C'est pourquoi nous aimons y revenir souvent. De plus, de nombreux jeunes du foyer n'avaient jamais vu de requins auparavant. Pour Aqqaluk et Gaaba, 11 ans (les deux qui tenaient une peau de tête d'ours sur l'une des photos de l'année dernière), comme pour Pipaluk et Najaaraq, 8 ans, ce fut une nouvelle expérience extraordinaire. Alf, le jeune handicapé mental de 23 ans, était lui aussi du voyage.
Pendant deux jours, nous posâmes donc deux lignes avec des morceaux de graisse de phoque comme appâts sur les 6 gros hameçons (environ 15 cm). C'est Maassa et Mikael, aidés des chasseurs, qui tirèrent ensuite les lignes et sortirent eux-mêmes les requins hors du trou. En tout, près d'une dizaine de requins, dont deux très gros (ces requins de l'Arctique peuvent mesurer de 3 à 5 mètres de long). Il fallait saisir la tête avec les mains, en prenant par les yeux, pour les tirer plus "facilement"… en faisant attention car les dents (petites mais nombreuses pour cette espèce) étaient de vrais couteaux. Le plus surprenant, c'était que les requins bougeaient encore lorsqu'ils reposaient sur la banquise… Etaient-ils encore vivants comme le disaient les chasseurs groenlandais ou s'agissait-il des réflexes nerveux de l'animal qui vient de mourir ? Quand les enfants donnaient des coups de pied dans la tête du requin à la gueule ouverte, il la refermait violemment !
La découpe des carcasses fut ensuite rapide, devant la caméra et sous les yeux de tous les enfants. Deux requins avaient été attrapés ensemble : l'un avait dévoré l'autre dont il ne restait plus que la tête. Dans l'estomac d'un autre encore, on trouva un bébé-phoque intact qui avait été avalé en entier… Et avec les os des requins, dont la consistance ressemble un peu à du plastique, les chasseurs sculptèrent des balles que les enfants s'amusèrent à faire rebondir. L'équipe allemande filma des images très belles et très spectaculaires, les enfants virent des requins de très près pour la première fois et nos centaines de chiens allaient se régaler… Tout le monde était donc très content !

La tête du requin - The head of the sharkt
La fête au village…
Au village le jour suivant, les filles du foyer et les éducatrices participèrent à la course de traîneaux des femmes. Nukaaraq, Maalat, Najaaraq, Frederikke, etc., conduisirent elles-mêmes leur traîneau pendant une demi-heure mais elles ne réussirent pas à rivaliser avec les femmes du village, plus rapides. Maalat, elle, arriva quand même en 4ème position. Le soir, ce fut la fête : remise des prix pour les vainqueurs de la course, jeu "bingo" à l'école avec des lots (j'ai gagné un morceau de viande de mouton surgelée…), puis "discothèque" toute la nuit à la maison publique. Le lendemain, nous repartîmes pour Uummannaq. Pour nous, ce fut le dernier voyage en traîneaux de l'expédition 2002.

Tuuma et Maassa sortent le requin du trou - Tuuma and Maassa are pulling the shark out of the hole
Retour du groupe 1 : Boye, pas bredouille…
Le groupe 1 (Boye, Ludvig, Makku, Uunartoq, etc.), qui était parvenu à atteindre un petit village de la baie d'Upernavik vers le nord du Groenland, est enfin revenu à Uummannaq. Au cours de ce voyage, Boye, 15 ans (et l'un des héros de notre film "Les petits rois de la banquise"), tua son premier phoque sur la banquise (au fusil, avec l'écran de toile blanche pour se camoufler) et son deuxième sur la mer à partir d'un bateau. En effet, la mer dégelée dans cette région ne permettait pas de progresser plus au nord en traîneaux et c'est pourquoi certains membres du groupe 1 sortirent en canot à moteur. Pour Boye, ce voyage fut très profitable : avec deux phoques à son actif, il pouvait être fier de lui. Ludvig raconta qu'ils avaient vu pour la première fois de leur vie des traces de pas d'ours polaires sur la neige...
L'expédition est terminée
Avec le retour du groupe 1 et le dernier séjour à Niaqornat de notre groupe, l'expédition est maintenant terminée. Tous les jeunes ont regagné le foyer et repris l'école à Uummannaq tandis que les chasseurs sont repartis dans leurs petits villages.
Quant à moi, je suis rentré en France au début du mois de mai pour "décongeler". N'oubliez pas de lire la semaine prochaine le dernier texte du "carnet de route 2002" qui sera le bilan de l'expédition. Vous pourrez voir également une sélection des meilleures photos encore inédites.