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Du 11 au 22 avril, -5°C, Niaqornat-Qaarsut-Uummannaq : le plus dangereux des voyages.
Dans le petit village de Niaqornat, il a fallu deux réunions des membres de l'expédition (chasseurs et éducateurs) pour se décider à partir. La nourriture pour les chiens s'épuisant rapidement et la crainte de ne plus pouvoir traverser la banquise brisée ont convaincu les chasseurs de ne pas attendre un jour de plus. Vendredi 11 avril, nous quittons donc Niaqornat par la banquise. En espérant pouvoir dormir le soir dans le village de Qaarsut.

Banquise brisée
Après le froid des tentes glacées, la faim durant les longues journées en traîneaux, la fatigue physique de traverser les montagnes, nous connaissons le danger de la banquise brisée. Le pire des voyages en traîneaux sur un parcours qui devrait être le plus facile…
Durant 8 heures, il nous faut constamment choisir entre la banquise fragile et le bord de la côte, à ras de falaises. Il nous faut ainsi franchir les hummocks, en "surfant" violemment sur ces gros blocs de glace brisée, où s'accrocher au traîneau est indispensable pour ne pas en tomber. Avancer à nouveau sur l'étroit bord de terre, le long de la falaise, quand la mer nous empêche de passer. Glisser sur de la glace tellement fragile qu'elle ondule sous le poids des traîneaux. Chercher encore un passage sur la banquise en évitant les trous de mer ouverte. Traverser les nombreuses crevasses où les chiens tombent parfois… Une stagiaire du foyer d'enfants est tombée à travers la glace dans l'eau glacée. Heureusement, Jakob, son chasseur, ne tarde pas à la secourir en la tirant grâce à son fouet qu'il lui a lancé. Sortie du trou presque tétanisée, elle doit changer de vêtements très vite pour éviter de geler sur place. Nukaaraq, elle, n'hésite pas à aider Uunartoq en sautant du traîneau pour le tirer ou le pousser. Mikael, seul sur son propre traîneau, s'en tire très bien malgré les difficultés. Mais le voyage est dangereux pour ces jeunes qui connaissent ainsi pour la première fois les pires conditions de voyage qui puissent exister sur la banquise. Nous arrivons enfin à Qaarsut par la terre, en empruntant la petite route non goudronnée qui mène de l'aéroport au village.
De la petite école qui surplombe le village, je regarde la banquise brisée et la mer ouverte à de nombreux endroits qui s'entendent jusqu'à Uummannaq. 20 km seulement nous séparent encore de l'île et de la fin de l'expédition. En repartant pour le dernier voyage, comment allons-nous trouver notre chemin sans danger ?

Trouver son chemin à travers la banquise brisee - finding the way through broken sea-ice

L'accident d'Uunartoq et Nukaaraq
Lundi 14 avril à midi, les traîneaux sont prêts pour le départ : caisses et sacs de voyage arrimés et chiens attelés. A cause de l'absence de banquise, nous quittons Qaarsut par la montagne, itinéraire que bien peu de chasseurs connaissent déjà. Dernier traîneau à partir, je fais tandem avec Ole Jorgen et, légèrement inquiet, je me demande quelle surprise nous attend cette fois sur ce dernier trajet. Je n'aurai malheureusement pas à attendre longtemps.
A quelques kilomètres de Qaarsut, nous croisons un motoneige qui fonce vers le village que nous venons de quitter, tractant un traîneau sur lequel Nukaaraq est allongée aux côtés d'Uunartoq. Je n'ai pas le temps de voir le visage de Nukaaraq mais celui d'Uunartoq est défait. Que s'est-il passé ?
Rejoignant enfin les autres, nous apprenons la nouvelle. En descendant une pente très raide, Uunartoq n'a pu éviter un gros rocher et Nukaaraq a été violemment éjectée très loin du traîneau. Le choc a dû être terrible : un chien a eu la patte cassée et leur traîneau est sérieusement endommagé. Si Uunartoq n'est pas blessé malgré de multiples douleurs, nous ne savons rien de Nukaaraq.
Grâce au téléphone satellite, Rebi (l'éducatrice groenlandaise dirigeant l'expédition) appelle Ann (la directrice du foyer d'enfants) pour la prévenir de l'accident. A son retour, nous remontons le moral d'Uunartoq toujours choqué et les yeux humides. N'importe qui d'entre nous aurait pu s'exploser sur ce rocher. Puis, nous repartons en redoublant de prudence, très inquiets sur l'état de santé de Nukaaraq. Un peu plus tard, nous entendons l'hélicoptère, venu la chercher à Qaarsut pour l'emmener à l'hôpital d'Uummannaq.

Le traîneau d'Ole Jorgen et Jean-Michel en difficulté au bord de la falaise
Ole Jorgen and Jean-Michel tough sledding down the cliff


L'arrivée à Uummannaq et la fin de l'expédition
Après quelques longues côtes et quelques descentes particulièrement raides, nous atteignons enfin la banquise. Elle est très fine mais elle est heureusement compacte, ce qui nous permet de rentrer sans difficulté à Uummannaq. Pour la dernière fois, la longue caravane de traîneaux s'étend sur la piste glacée. Tout le monde est un peu triste. Après plus de trois semaines, nous voici de retour et c'est la fin de l'expédition. Seul sur son traîneau, Uunartoq suit son propre chemin en s'écartant des autres : sans doute se sent-il un peu responsable de l'accident de Nukaaraq.
A l'hôpital, Nukaaraq est allongée sur son lit. Elle nous apprend qu'elle est en observation et qu'elle sort demain : elle a juste quelques contusions et une bosse sur le front, cachée sous une frange de cheveux décolorés. Uunartoq lui rendra visite un peu plus tard dans la soirée, la larme à l'oeil.

Plus de banquise autour d'Uummannaq

Pour marquer la fin de notre aventure, une petite fête est organisée au foyer, au cours de laquelle Ann remet des "prix" à tous les membres de l'expédition. Le lendemain, Nukaaraq a pris l'hélicoptère pour aller rendre visite à sa famille à Nuuk, la capitale, dans le sud du Groenland. Quelques jours plus tard, Mikael, Svend et quelques enfants, accompagnés de leurs éducateurs et de plusieurs chasseurs, sont partis à Uummannatsiaq, le camp à 30 km d'Uummannaq où nous séjournons chaque année, pour profiter des dernières plaques de banquise. Nous avons prévu de les rejoindre le jour d'après.
Une heure avant notre départ, le vent soudain s'est levé, nous obligeant à reporter notre voyage. Une chance pour nous. En quelques minutes, la banquise s'est fracturée à deux endroits. Des pêcheurs d'Uummannaq sont partis avec une barque sur leurs traîneaux pour aller secourir tous ceux qui s'étaient retrouvés bloqués de l'autre côté de la fracture. Si le fond du fjord est encore gelé, il ne reste plus grand-chose aujourd'hui de la petite bande de banquise, d'à peine 500 mètres de large, touchant toujours l'île d'Uummannaq. Les pêcheurs ont fini par la creuser en sortant leurs bateaux. Il n'est donc plus possible de faire du traîneau et, la neige ayant fondu rapidement, les paysages ressemblent maintenant à ceux du début juin. Nous sommes pourtant encore qu'à la mi-avril… La saison se termine donc comme elle a commencé : températures exceptionnellement hautes et banquise presque inexistante. Il reste encore une inconnue pour nous : comment le petit groupe de jeunes encore à Uummannatsiaq pourront-ils rentrer à Uummannaq ?

Nukaaraq et Jean-Michel.
La semaine prochaine, les meilleures photos de l'expédition seront en ligne.