Le premier voyage en traîneaux de l'expédition 2000 :
la difficile traversée des hummocks.

 
Le week-end approche et le foyer d'enfants décide d'envoyer ses pensionnaires dans un petit village, loin de leur vie quotidienne. Dès le retour des enfants de l'école, en début d'après-midi, les affaires sont vite préparées : nourriture, sacs de couchage, matelas, vêtements chauds... Les sacs de voyage sont attachés solidement sur les traîneaux, les chiens attelés, et nous voici enfin prêts à partir. Il faut 5 heures environ pour atteindre Ikerasak, petit village de 200 habitants vivant toujours de la chasse et de la pêche. Il est situé à plusieurs dizaines de km, au fond du fjord d'Uummannaq, près du grand glacier vêlant les plus gros icebergs de la baie. Nous sommes sept (deux adultes et cinq enfants) sur 4 traîneaux. Dans ma poche au chaud près du corps, le téléphone portable, en cas d'urgence.
Première difficulté : équilibrer le poids des traîneaux de manière à pouvoir glisser à peu près à la même vitesse. Au bout de trois heures, nous décidons une petite pause pour démêler les lignes de traits des chiens et avaler quelques sandwichs. Les adolescents partent dans la montagne chasser le lagopède. Peine perdue, ils reviennent bredouille. Nous repartons enfin pour la dernière partie du parcours. Une nouvelle difficulté nous attend : une barrière d'hummocks, portion de banquise très accidentée formant un chaos de monticules de glace brisée, ralentie notre progression vers Ikerasak.
La photo en plus grand ?
Le traineau dans les blocs de glace.
Très vite, elle s'avère très longue et particulièrement difficile à traverser. Je saute du traîneau d'Ole Jorgen pour aller aider Buuju qui peine beaucoup, jurant de toute sa voix contre les chiens, pour les faire avancer tant bien que mal à travers le dédale des blocs de glace disloquée. A l'avant, il dirige les chiens et débloque les patins tandis qu'à l'arrière, je retiens le traîneau pour éviter le départ brutal des chiens se sentant libérés. Je saute sur le traîneau, en faisant attention au trou au milieu : deux lattes de bois se sont brisées. Débloqué, il repart très vite, avant d'être à nouveau bloqué quelques mètres plus loin. Il faut redescendre du traîneau, retirer les lignes de trait coincées par les blocs de glace, mettre les chiens dans la bonne direction, débloquer le traîneau qui repart immédiatement, courir sans glisser en le retenant et sauter à nouveau dessus en n'oubliant pas le trou au milieu.
Nous progressons très lentement, luttant pendant plus d'une heure en répétant sans cesse les mêmes mouvements, pour franchir les nombreux obstacles. Plusieurs longues lignes de trait ont été tranchées net par la glace et trois chiens ont ainsi été libérés. Pourvu qu'ils nous suivent... Deux traîneaux sont maintenant partiellement endommagés : le mien aux lattes de bois brisées en son milieu et un autre qui a le montant arrière arraché. Heureusement ils sont toujours utilisables... Le soleil s'est couché derrière les montagnes depuis longtemps et il faut coûte que coûte arriver avant la nuit noire car l'obscurité rendrait notre progression parmi les hummocks trop difficile, voire dangereuse : impossible alors de voir les morceaux de glace coupante qui peuvent blesser les chiens ou trancher leurs lignes de trait. Les enfants ne sont pas effrayés mais manifestent de la fatigue et de plus en plus d'énervement après tant d'efforts. Il est 21h lorsque nous trouvons enfin la piste qui mène au village. Il était temps. Par chance, la conserverie de poissons est toujours en activité et éclaire suffisamment les abords du village pour que nous puissions creuser des petits ponts dans la glace pour attacher les chiens. Moins d'une heure après, nous rejoignons les autres - inquiets de nous voir arriver si tard - à l'école. Après le repas, nous nous endormons épuisés dans nos sacs de couchage.
La photo en plus grand ?
Les lignes de trait emmelées dans les blocs de glace.
La journée du samedi est occupée par un repos bien mérité. Nous visitons quelques villageois et réparons les traîneaux cassés. Un vieux Danois installé à Ikerasak depuis plusieurs dizaines d'années, chassant et pêchant à la manière traditionnelle, fabriquant avec habilité des objets du passé, nous offre aide et hospitalité. Il est aussi le dernier habitant à vivre encore parfois dans sa vieille maison esquimaude en tourbe et en pierres, où seule la petite flamme de la lampe à huile - pierre creuse dans laquelle un mélange d'huile de phoque et de pétales de linaigrettes sert de combustible - éclaire et chauffe l'intérieur. A moi, il me parle uniquement en groenlandais alors qu'il nous serait beaucoup plus facile de nous exprimer en anglais. Il est comme ça : un curieux personnage un peu fou, très généreux et toujours prêt à raconter des histoires incroyables dans un jargon original mêlant groenlandais, danois et anglais. Dimanche après-midi, certains d'entre-nous repartent en taxi vers Uummannaq tandis que les autres sont déjà sur les traîneaux depuis plusieurs heures. L'itinéraire choisie cette fois est le plus rapide et celui qui présente le moins d'hummocks...